A l’issue d’une visite de dix jours en Haïti, un expert de l’ONU a déclaré avoir vu un « pays meurtri par la violence, la misère, la peur et la souffrance », où la situation des droits humains est « dramatique ».
« Tous les droits humains y sont bafoués », a dit William O’Neill, Expert indépendant sur la situation des humains en Haïti, lors d’une conférence de presse.
« Les gangs continuent de faire régner la terreur, en particulier dans plus de la moitié de la capitale Port-au-Prince, devenue une zone de non-droit. Les femmes et les jeunes filles continuent de se faire violer par les gangs, souvent collectivement, pour asseoir leur contrôle sur la population », a-t-il ajouté.
Au-delà de la violence des gangs qui sévit dans la capitale et qui a poussé des dizaines de milliers de personnes à se déplacer, les accaparements de terres par des oligarques dans le Nord-Est a aussi chassé des milliers de paysans exposés à la précarité, a-t-il noté.
Une situation pas irréversible
Lors de sa visite, M. O’Neill a rencontré les autorités haïtiennes, des membres d’organisations de la société civile, des intellectuels et il a visité le Pénitencier national et la prison de Cap-Haïtien.
Selon l’expert, la situation n’est pas irréversible et beaucoup peut être fait pour pallier les défis structurels et conjoncturels ayant mené à la crise actuelle. « Et ceci, rapidement, et avec peu de moyens. L’Etat a un rôle fondamental à jouer en ce sens, en tant que garant des droits humains de la population », a-t-il dit.
William O’Neill a estimé que la solution pour Haïti doit en priorité être haïtienne. Elle doit passer par la mise en place de systèmes de performance et de surveillance pour veiller à la responsabilité et à l’intégrité de tous les acteurs, à chaque niveau de la chaîne hiérarchique.
« L’ampleur de la crise est telle que le soutien adapté et coordonné de la communauté internationale sera fondamental pour accompagner la transition vers une meilleure gouvernance », a-t-il déclaré, jugeant ainsi « indispensable » le déploiement d’une force internationale spécialisée aux côtés de la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour rétablir la liberté de mouvements des populations.
Appliquer l’embargo sur les armes
Dans le même ordre, afin de limiter la violence des gangs, l’embargo sur les armes principalement en provenance des Etats-Unis, établi par le Conseil de sécurité des Nations Unies, doit être appliqué immédiatement, a-t-il estimé, notant qu’aucune arme n’est produite en Haiti.
S’agissant de la situation carcérale, elle illustre, selon lui, les manquements et les dysfonctionnements du système judiciaire à tous les niveaux. Au Pénitencier national de Port-au-Prince, et à la Prison civile de Cap-Haïtien, il a dit avoir été témoin de conditions de détention inhumaines. 219 détenus sont décédés en détention en 2022, principalement een raison de la malnutrition ou par manque d’accès aux médicaments. Les détenus sont entassés dans des cellules exigües, sous une chaleur étouffante, parfois sans accès à l’eau, aux sanitaires, avec une alimentation insuffisante.
Il a demandé aux autorités de déployer tous leurs efforts pour permettre aux détenus de vivre dans la dignité et à s’engager à augmenter de manière significative le nombre de dossiers traités pour les personnes en détention provisoire.
« Un système judiciaire efficace est essentiel pour lutter contre la corruption et l’impunité qui alimentent le cycle de la violence et qui paralysent le pays depuis des décennies », a-t-il, en outre, affirmé, estimant que le manque de contrôle, de responsabilité et de sanctions des fonctionnaires dans le domaine judiciaire crée un terrain fertile pour la corruption et l’impunité.
Il a notamment jugé urgent de rétablir le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, qui n’est plus opérationnel depuis plus d’un an.
L’expert a estimé que l’effort d’assainissement du service public et de reddition de comptes doit être accompagné d’un cadre juridique permettant un accès à l’information sans entrave. Il a aussi jugé nécessaire que l’Etat puisse protéger les journalistes, Haïti étant le deuxième pays de la région le plus dangereux pour cette profession.
Des signes prometteurs
Malgré ce sombre tableau, M. O’Neill a dit avoir trouvé des signes prometteurs pour contribuer au changement. Il s’est dit notamment impressionné par les résultats obtenus par un Directeur départemental de la Police Nationale d’Haïti pour endiguer l’insécurité dans le département du Nord. Il a exprimé aussi son admiration devant le courage de juges, tels que le juge Morin, qui a récemment survécu à une tentative d’assassinat pour son travail, qui continuent à prôner haut et fort leur engagement en faveur de l’intégrité du service public et contre la corruption.
L’expert s’est dit encouragé par les efforts réalisés par la PNH qui opère dans des conditions difficiles et des moyens limités. Selon lui, une force internationale spécialisée doit être coordonnée en étroite collaboration avec la police, afin de permettre de renforcer ses capacités sur le long terme, avec toutes les garanties de diligence en matière de droits humains. Des transferts de technologies et de connaissances ciblées seront essentiels, notamment dans le domaine du renseignement et de la lutte contre la violence urbaine, a-t-il dit.
L’expert a observé que l’absence de l’Etat se fait ressentir pour tous les droits économiques, sociaux et culturels. L’accès à la santé, à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation et au logement, sont sérieusement entravés par le manque de réponse étatique. L’insécurité, notamment dans les zones les plus marginalisées de la capitale, exacerbe encore davantage la défaillance des institutions dans ce domaine. Des quartiers entiers sont livrés à leur sort, sans accès à aucun service public, contribuant à encore accroître les inégalités. Cette situation contribue notamment au recrutement croissant d’enfants et de jeunes dans les gangs.
« Haïti est à un tournant de son histoire. Il est urgent d’agir. Il en va de la survie de toute une nation. Le pays a le choix de se redresser, de démontrer sa volonté de surmonter la crise pour aller vers un avenir meilleur ou de se résigner et sombrer davantage dans le chaos », a conclu l’expert. « Assurer la sécurité et la protection de la population, surmonter les lacunes institutionnelles structurelles et rétablir la confiance dans les institutions publiques, sont des prérequis fondamentaux pour tenir des élections libres et transparentes et pour la consolidation de l’Etat de droit ».
Haïti, une crise humanitaire oubliée
La cheffe du Fonds des Nations Unies pour l’enfance ( UNICEF ), Catherine Russell, a également effectué la semaine dernière une visite en Haïti pour aider à mobiliser le soutien pour la réponse humanitaire en Haïti, qui « est train de devenir une crise oubliée ».
Aujourd’hui, on estime que 5,2 millions de personnes, soit près de la moitié de la population totale, ont besoin d’une aide humanitaire, en Haïti, dont près de 3 millions d’enfants.
« L’UNICEF et nos partenaires des Nations Unies et des ONG sont profondément préoccupés par les milliers d’enfants pris dans les affrontements violents ou recrutés et utilisés par les groupes armés. Dans certaines communautés, il y a des niveaux de violence sexiste et de viol effarants, et le viol est utilisé comme une arme d’intimidation et de contrôle », a déclaré Mme Russell lors d’une conférence de presse, jeudi, au siège de l’ONU à New York.
Elle a toutefois estimé que, malgré les horreurs observées, il y avait des signes d’espoir. Elle a notamment rencontré des gens qui aident les survivantes de viols et de violences à reconstruire leur vie, ainsi que des dirigeants communautaires, des enseignants et des agents de santé « qui bravent les dangers » pour éduquer et prendre soin des enfants.
Ne pas laisser tomber le peuple haïtien
« Le système humanitaire, y compris l’UNICEF, intervient en Haïti et intensifie la réponse. Pourtant, nous sommes loin de répondre aux besoins croissants de la population haïtienne », a estimé Mme Russell, qui a dénoncé une situation d’insécurité « inacceptable ».
« Collectivement, le monde laisse tomber le peuple haïtien, et à moins que nous n’agissions immédiatement, il est difficile d’imaginer un avenir décent pour la population », a-t-elle ajouté. « Nous devons restaurer la confiance et mieux écouter ce dont le peuple haïtien dit avoir besoin ».
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