Charles M’Ba : « Bâtir, construire, établir le ’’Gabon des projets’’, c’est le modèle qu’il faudrait pour refonder notre pays ! »
L’ancien ministre en charge des finances publiques gabonaises, Charles M’Ba, président du Think Tank « Pour Le Gabon » a dévoilé les atouts et enjeux économiques d’un Gabon au prisme de « l’urgence et de l’essence ». Selon l’opposant gabonais, le pays doit puiser en ses forces inégalables pour restaurer son éclat qu’il dit détérioré par la mauvaise gouvernance, la gabegie et les détournements de fonds publics marque de fabrique du régime d’Ali Bongo. Ceci à l’occasion du forum organisé par le think tank, Cercle de réflexion stratégique du Gabon à Paris, le 07 décembre, 1ère édition du forum « Le Gabon face aux défis d’avenir ». Gabonmatin, partenaire de l’événement vous livre l’intégralité du diagnostic économique de l’expert comptable et ancien Sénateur du Woleu (Nord du Gabon).
Invité à intervenir dans le Panel « Développement économique, social et environnemental », Charles M’Ba a déclaré ce qui suit : « Je voudrais en premier lieu, présenter mes félicitations aux dirigeants du Cercle de Réflexion Stratégique du Gabon (CRSG), pour la création de ce nouveau cadre d’analyses et de propositions. Notre pays, en crise profonde et notamment depuis aout 2016, a besoin d’action et cependant comme dit Bergson, il nous faut, toujours, « agir en hommes de réflexion ».
Lisez dans les lignes qui suivent l’intégralité de son analyse économique qui a marqué la 1ère édition du forum « Le Gabon face aux défis d’avenir ».
La réflexion est essentielle pour agir efficacement ! Je voudrais en second lieu, vous présenter mes remerciements pour la parole que vous accordez, si largement, à de nombreux éminents membres du Club de réflexion politique « Pour le Gabon » que j’ai l’honneur de présider. La diversité est source d’enrichissement, et vous avez raison de la rassembler et de lui permettre de s’exprimer.
Cela dit, ouvrir, en cinq minutes comme le rappelle le programme, la discussion ou l’échange sur le sujet du « développement économique, social et environnemental » du Gabon, est une vraie gageure.
D’autant que les termes de référence rappelés sont vastes. Les thématiques communiquées par le Club de Réflexion Stratégique sont en effet les suivantes :
1. Analyse du cadre macroéconomique
• L’impact des principaux indicateurs dans le quotidien des Gabonais
• Dotations factorielles et comment améliorer leur utilisation ?
• Quel modèle économique pour le Gabon demain ?
2. Les clés du développement
• Investissements et développement des infrastructures
• Développement du capital humain
• Environnement et bien-être social
3. Politique budgétaire et stratégie monétaire
• Comment faire face au déficit budgétaire ?
• Quelles réformes apporter à la CEMAC ?
La structure proposée répond sans doute à la vision particulière du CRSG. Il faut y coller car elle suggère par conséquent la présentation de quelques éléments de l’état du pays ; permettant ensuite l’identification de quelques clés du développement du Gabon. Les questions de la politique budgétaire en même temps que la stratégie monétaire renvoie à l’intégration régionale, économique et financière, à son état et à la prospective concernant notre regroupement régional.
Comme il parait toujours nécessaire, quand l’Etat va mal, de « retrouver le sens des mots » il faut dire ici, de quoi l’on parle. Il s’agit encore et toujours de développement c’est-à-dire plus simplement, de l’amélioration continue des conditions matérielles et morales de vie des populations. Et aussi de qui l’on parle, car le Gabon notre pays, c’est, entre autres caractéristiques :
• 270 000km2 dont 85% sont couverts par la forêt,
• + de 10% du territoire constitués en réserves,
• 850 km de façade maritime,
• 800 cours d’eau exploitables,
C’est aussi :
• Environ 2 millions d’habitants dont plus de la moitié vit en zones urbaines,
• Un âge médian de 23 ans,
• Une espérance de vie de près de 66 ans,
• Environ 600 000 actifs (en référence à la statistique retenue dans « la Passion du pays »),
C’est encore, au plan administratif :
• 52 communes,
• 48 départements,
• 2750 villages dont 70% sont enclavés, et 970 regroupements de villages,
• 164 cantons dont 80% sont enclavés.
Avec ces quelques chiffres accessibles auprès des sources habituelles, les idées peuvent être fixées et contribuer à une meilleure compréhension des indicateurs économiques et sociaux qui caractérisent notre pays. Il peut s’avérer nécessaire d’en relativiser la portée ou même d’adapter les jugements.
I. Des indicateurs et quelques chiffres économiques et sociaux.
Se contenter de dire que la situation économique, financière et sociale du Gabon est catastrophique, calamiteuse ne suffit pas si l’on n’a pas à l’esprit les indicateurs habituels, sans doute critiquables voire contestables. Mais ces chiffres font généralement le consensus, il faut bien le dire, de l’ensemble des organisations internationales compétentes et de références. Quels sont-ils pour notre pays ?
Au plan économique et financier :
• Une croissance faible : 2,5% en 2019 contre 1,2% en 2018 ,
• Un plan de relance en échec sur la quasi-totalité des objectifs identifiés et retenus,
• Une inflation de 2,5% en ligne avec les critères de convergence CEMAC,
• Un endettement particulièrement élevé 5500 Mds de CFA soit entre 55 et 60% du PIB),
• UN PIB/Hab de + 8100 USD comparable à celui de la Roumanie,
Certains de ces indicateurs peuvent rassurer des interlocuteurs complaisants de notre pays. Il n’en reste pas moins qu’ils caractérisent une situation anormale compte tenu du potentiel économique et financier du Gabon et qu’ils illustrent une gestion parfaitement hasardeuse et incompétente. Il suffit, pour ceux qui le peuvent, d’observer la Roumanie dont le PIB/hab est inférieur à celui du Gabon ! C’est vrai aussi qu’il faut analyser la dette au delà de son seul volume voire de son poids relatif.
Ce qui est le plus important est bien que la dette ait pu servir, et même exclusivement, au financement d’investissements producteurs ou favorables à la production et à la circulation des richesses dans notre pays. Chacun voit bien que ce n’est pas le cas et même pire, l’explosion de la dette depuis 2009 (-20% du PIB) a principalement alimenté la corruption et l’enrichissement illicite.
L’insuffisance criarde, en quantité et encore plus en qualité des voies de communication démontre au premier regard la descente aux enfers de la vie des populations de notre pays. Elle illustre l’indigence des capacités d’un pouvoir usurpé et confisqué. Si faire de la politique, c’est contribuer à changer, en mieux bien sur, la vie de nos populations ; nous sommes très loin d’un compte dont nous nous éloignons d’ailleurs chaque jour !
Au plan social :
• Environ 200 000 chômeurs dont 45% de moins de 25 ans,
• Environ 100 000 jeunes au chômage,
• 34% de pauvreté avec 70 000 foyers qui vivraient avec – de 4USD (2700 FCFA)/jour,
• 41/ooo de mortalité infantile
• 60% des régions touchées par la dégradation de la santé, de l’eau potable, de l’électricité.
Le chômage massif et qui pénalise massivement les jeunes, c’est-à-dire les forces vives du pays constitue un des indicateurs majeurs de la dégradation de la vie des populations gabonaises. Il est également l’occasion du constat de l’incompétence d’un pouvoir qui ne sait rien proposer aux jeunesses gabonaises, au delà de quelques perspectives dans des administrations publiques désorganisées et dévoyées ! Une incapacité indélébile à trouver pour le Gabon des solutions nécessaires et adaptées à un pays en construction. Le Gabon est un pays à construire et non à administrer. Bâtir, construire, établir le « Gabon des projets », c’est le modèle qu’il faudrait pour refonder notre pays !
II. Les leviers du développement
Il est, ici aussi, nécessaire de partir de quelques éléments d’analyse de quelques chiffres qui relèvent les points forts et les points faibles généralement identifiés pour notre pays. Par la COFACE, Doing Business et bien d’autres institutions réputées sérieuses.
Les points forts :
• Producteur de pétrole
• Producteur de bois
• Producteur de manganèse
• Une forêt immense, abondante,
• Un potentiel hydraulique et halieutique immense,
• Appartenance à la CEMAC
Les points faibles :
• Trop grande dépendance au secteur pétrolier (exportations, PIB, recettes budgétaires),
• Cout élevé des facteurs de production (transport, électricité),
• Chômage élevé,
• Pauvreté endémique,
• Corruption omniprésente
• Volume important de dette impayée.
• Classement du climat des affaires (169è/190 pays 2019).
Si les points forts suggèrent le potentiel énorme et les opportunités possibles, massives pour notre pays, les points faibles constituent autant de préalables à lever. Lutter fermement et avec résolution contre la corruption est un des préalables majeurs à une gestion saine au service de l’efficacité de la dépense publique. Evidemment, des investissements massifs pour réaliser toutes les infrastructures indispensables en voies de communication, en électricité, en télécommunications enclencheront le développement.
Comme le développement du capital humain, c’est-à-dire l’éducation, l’instruction, la formation professionnelle et technique. Comme la maîtrise des savoirs des techniques et des métiers nécessaires, par exemple à la création et au développement d’entreprises nationales. Comme le bien être social que même les organisations financières internationales ont fini par replacer au centre du développement.
Naturellement, l’environnement constitue un levier du développement ; il me semble bien davantage, il me semble un défi pour un pays, le Gabon qui, au sein du bassin du Congo, contribue au deuxième poumon de l’humanité. Le Gabon ajoute à son potentiel, celui de l’écodéveloppement à promouvoir, organiser, structurer, pour le bien être, pour le mieux être, toujours, de nos populations.
Il reste que le levier le plus important du développement du Gabon est la CONFIANCE. Il n’y aura pas de développement si les populations nourrissent de la défiance envers les agents de l’Etat chargés de la gestion et de la protection de l’intérêt général. Il n’y aura pas de développement économique et social si les agents publics, politiques et administratifs, se préoccupent davantage de s’enrichir personnellement et illicitement en se servant dans les caisses de l’Etat.
Il n’y aura pas de développement économique et social si l’esprit d’entreprise notamment des Gabonais, qui veulent participer à la production des richesses, est inhibé par une corruption endémique. Il n’y aura pas de développement économique et social si l’institution judiciaire n’inspire pas confiance et finit de reléguer notre pays au 169è rang sur 190 pays pour son climat des affaires !
III. Politique budgétaire et stratégie monétaire
Avec ces sujets, le CRSG a implicitement souhaité évoquer l’intégration régionale en Afrique centrale. L’appartenance à la CEMAC, avec ses 52 millions d’habitants et ses 17 habitants au km2, est retenue comme un atout pour le développement de notre pays. Ainsi le Gabon, avec ses 2 millions d’habitants appartient à un grand ensemble. Il participe à cet intérêt commun de réunion voire de mutualisation des capacités et des forces afin d’optimiser un potentiel immense de ressources minières, forestières et agricoles.
Parmi les critères de convergence de la CEMAC figure la maitrise du déficit budgétaire qui doit être contenu à 3% du PIB. Cet indicateur ne semble pas aujourd’hui faire l’objet d’une politique proactive en faveur d’un secteur particulier comme les grands travaux. Il traduit davantage une maîtrise insuffisante de la dépense budgétaire qui vient illustrer les incapacités du gouvernement.
Pour ce qui est de la stratégie monétaire, l’opinion de la Commission de la CEMAC de retenir la monnaie comme une « variable stratégique » au service de la transformation des économies de la région est très satisfaisante. Comme parait raisonnable l’approche du traitement de la question du franc CFA ; il est en effet recommandé « d’emboiter le pas à la CEDEAO et de réformer la zone Franc en zone CEMAC ».
Voila quelques éléments synthétiques qui permettent d’ouvrir une discussion et un débat sur le développement économique, social et environnemental dans l’esprit que vous avez retenu. Notre Club « Pour le Gabon », à travers ses membres orateurs du jour, apprécie naturellement d’y apporter sa contribution.
Je vous remercie.
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